La presse est censée jouer le rôle de médiation et pourquoi pas d’arbitre dans le débat public. Son rôle, du moins théoriquement, est de nourrir la démocratie. Mais depuis un certain temps, on voit les patrons de presse embrasser la politique au Sénégal. La dernière en date est le lancement du mouvement du journaliste Mamoudou Ibra Kane.
Certes, la relation entre médias et politique n’est pas nouvelle. L’Etat a toujours eu sa presse et certains acteurs politiques de l’opposition et de la majorité (surtout) ont eu, au Sénégal, des organes de presse, notamment depuis l’alternance en 2000. C’était donc des politiques qui faisaient leur entrée dans le secteur des médias. Ce qui est nouveau ici depuis 2012, c’est le chemin inverse. Des patrons de presse qui décident d’entrer en politique.
La question centrale ici est de savoir si la démocratie n’est pas en péril, si le jeu électoral ne risque pas d’en pâtir. En effet, ces acteurs ont l’avantage (ou l’inconvénient) d’avoir des instruments capitaux pour le débat public, des outils d’influence. Ils doivent donc faire la part des choses entre ce que doit être un média, sur le plan théorique du moins, et leurs ambitions personnelles, politiques.
La première génération de patrons de presse devenus politiques est composée de journalistes comme Abdou Latif Coulibaly (Gazette), Yaxam Mbaye (Libération), Abou Abel Thiam (Kotch) et de non journalistes comme Youssou Ndour. Pour éviter un mélange de genres, Abdou Latif Coulibaly s’est retiré du monde des médias. Kotch ayant disparu, il ne reste que libération. Yaxam semble être en retrait au profit de Cheikh Mbacké Guissé. Il se pourrait qu’il y ait eu des manquements, mais ils n’ont pas été pointés du doigt pour avoir utilisé le journal pour satisfaire une cause politique.
Le quotidien Libération est même généralement assez éloigné des questions politiques. Par contre, Youssou Ndour lui a été accusé d’avoir mis le Groupe futur médias (Gfm) au service de la coalition au pouvoir auquel il appartient. Des leaders politiques comme Sonko, Barthélémy et autres ont porté l’accusation.
Ce qui fait que lors des évènements de mars, les manifestants ont attaqué la Rfm, considérée comme un instrument de propagande du pouvoir. Il y a eu ensuite la deuxième génération. Elle est constituée presque de journalistes. Bougane Guèye Dany (D-média), Amadou Ba (L’As) et maintenant Mamoudou Ibra Kane. Et c’est là qu’on peut nourrir des inquiétudes.
En effet, autant les premiers ont fait la part des choses ou alors y sont allés avec modération, autant les deux premiers nommés de la deuxième génération abusent de cette influence. Tfm, Rts et Sen tv épingléesBougane Guèye Dany a presque fini de mettre son groupe au service de ses ambitions politiques.
La Tribune titre régulièrement sur lui. Il est fréquemment invité à la Sen Tv et ses conférences de presse et tournées sont largement relayées par son groupe. On a même vu Sen Tv reprendre en direct une émission de 7tv dans laquelle Bougane était l’invité. En 2018, le Cnra a dû rappeler à l’ordre la Sen Tv, la Tfm et la Rts lors de la collecte de parrainage. La Tfm et la Rts avaient largement diffusé la campagne de Macky Sall, alors que la Sen Tv en faisait autant pour Bougane.
« La tendance de certains titulaires d’une autorité d’exploitation de services de communication audiovisuelle ou de certains dirigeants d’entreprises de communication audiovisuelle, qui occupent des fonctions politiques dans des mouvements, partis et/ou au sein d’institutions de l’État, à utiliser leur organe dans le relais et la propagande de leurs activités partisanes et/ou au profit de personnes qu’ils soutiennent, viole le principe de neutralité du traitement de l’information », déclarait le communiqué du régulateur épinglant la Tfm et la Rts.La même chose est remarquée du côté du journal L’As.
Les titres à la Une sont largement favorables à Benno bokk Yaakaar et à Macky Sall. Quand l’opposition est à la Une, c’est parce que l’information lui est presque toujours défavorable. Ici aussi, on a vu le patron se tailler la part du lion, avec presque deux pages qui lui sont consacrées en tant que maire de Missirah.On attend donc de voir Mamoudou Ibra Kane à l’œuvre.
Son professionnalisme en tant que journaliste est déjà reconnu. Il lui reste à faire la part des choses entre le politique qu’il est devenu et le patron de presse qu’il est déjà. A la différence des deux premiers, lui n’est pas le seul maître à bord. Il forme un duo avec Alassane Samba Diop, d’aucuns disent même un trio avec DJ Boubs.
Peut-être qu’il y a là des soupapes de sécurité au cas où il est tenté. Mais attendons qu’il soit à l’œuvre pour le juger. Va-t-il continuer à présenter le Jury du dimanche ? C’est une autre question