Dysfonctionnements techniques, gestion cavalière, manque de considération vis-à-vis des autorités étatiques, les reproches ne manquent pas pour Philippe Bohn, recruté surtout pour son carnet d’adresses et son passé chez Airbus.
Philippe Bohn n’est plus le directeur général d’Air Sénégal SA. Il a démissionné de la tête de la compagnie, mais reste dans le Conseil d’administration en qualité d’administrateur. Il a été remplacé par Ibrahima Kane, l’ancien DG du Fonsis.
Pourtant, quelques semaines auparavant, il était difficile de croire à un départ de Philippe Bohn. En effet, le 22 mars dernier, le Français animait (avec à ses côtés Jérôme Maillet et Eric Iba Guèye) une conférence de presse pour se féliciter du travail qu’il a accompli à la tête de la compagnie en un temps record.
Dressant le bilan à mi-parcours, il déclarait : “Il y a 10 mois, on n’avait pas d’avion. Aujourd’hui, c’est mission accomplie pour nous. On peut être fiers d’avoir monté une compagnie aérienne nationale aussi rapidement. C’est une première. Nous sommes vus sur la scène internationale comme une success story.”
Bohn de rappeler que la compagnie compte désormais cinq appareils et désert onze destinations, en plus d’attendre un sixième avion entre juillet et septembre. “Pour une fois, félicitons-nous de ce parcours”, exultait-il.
Voir ce même Philippe Bohn quitter la tête de la compagnie, moins d’un mois après, a de quoi surprendre. A moins que cette sortie face aux médias eut été une façon à lui de faire ses adieux.
Dans une interview accordée à Paris Match, il déclare : “Pour mon équipe et moi, la mission est accomplie. La mise en vol en opération a été réalisée dans les délais voulus par le Président Macky Sall. C’était l’un de projets majeurs de ‘son’ Plan Sénégal Emergent. On a préparé l’équipe qui va reprendre le flambeau.”
Le désormais ex-DG de souligner qu’il “y avait une forte demande pour ‘sénégaliser’ la compagnie, ce que l’on peut comprendre”. Bohn est donc parti, après avoir accompli sa mission.
Il y a sans doute une part de vrai dans cette affirmation. En effet, avant cette interview à Paris Match, un interlocuteur contacté par Seneweb expliquait son recrutement par le fait que l’Etat du Sénégal voulait aller très vite dans le montage de la compagnie. Et pour cela, il a fait appel à Philippe Bohn, un ancien de Airbus, pour accélérer les procédures. “Si on devait suivre la voie normale, les premiers avions seraient disponibles en 2020”, indiquait la source.
Atterrissage forcé !
Cependant, il ne manque pas de raisons pour expliquer le départ “forcé” de l’ancien patron d’Air Sénégal. Les nombreux problèmes techniques notés ces derniers temps sur les avions flambants neufs de la compagnie en sont une. Mais il y en a d’autres. D’abord, beaucoup en voulait à Macky Sall d’avoir “imposer” aux Sénégalais un Français, alors que beaucoup de nationaux auraient le profil de l’emploi.
Ensuite, sa gestion a été très décriée, particulièrement celle financière. Ce qui explique d’ailleurs l’arrivée d’Ibrahima Kane, ancien DG du Fonsis qui “connait un bout sur les contrats financiers”. L’objectif, dit-on, est de mettre de l’ordre dans la gouvernance de la compagnie.
Aliou Sall, frère du Président Sall et directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (Cdc), unique actionnaire d’Air Sénégal, ne dit pas le contraire. Invité de l’émission Grand Jury, dimanche dernier, le frère du Président Macky Sall a laissé entendre qu’Ibrahima Kane va s’occuper en priorité à “la restructuration financière et organisationnelle” de la société.
En fait, l’un des appareils étant livré et l’autre en voie de l’être, Philippe Bohn devient moins indispensable. Un interlocuteur se demande ainsi s’il a essayé de profiter de sa position avant de quitter, dans tous les cas, il se dit qu’il y a des choses pas catholiques dans la gestion financière de la compagnie sous son commandement. Certains prédisaient même une faillite au bout de six mois. D’autres lui prêtent une société écran destinée à s’enrichir sur le dos d’Air Sénégal. Dans tous les cas, on indique une volonté de la part des autorités étatiques d’auditer sa gestion.
Nonobstant les questions financières, sa gestion sera très vite contestée. Avant même le décollage, on lui reproche d’avoir écarté les compétences sénégalaises, en l’occurrence le commandant Malick Tall.
Un seul patron : Macky Sall
Dans les couloirs de l’Etat, il se dit que le Français ne respecte aucune autorité et aime répéter partout qu’il n’a de compte à rendre qu’au Président Macky Sal, qui l’a nommé à son poste. Jeune Afrique informe que c’est Macky Sall himself qui a pris son téléphone pour le convaincre et lui donner les pleins pouvoirs.
Bohn qui revendique une amitié de longue date avec le chef de l’État semble confirmer. “Par définition, je ne suis venu que parce c’était lui, un grand chef d’Etat, avec une vraie vision. Je ne doute pas que je pourrai faire d’autres choses pour lui et avec lui”, prédit Philippe Bohn.
Cette position de force n’a pas facilité les relations avec ses supérieurs. Au ministère des Transports aériens, on explique que Maïmouna Ndoye Seck a dû mettre très tôt les points sur les “i” pour l’obliger à rendre compte à chaque fois que de besoin. Ce qui ne veut pas dire qu’il a toujours obéi à la tutelle. La relation a été plutôt tendue.
D’ailleurs, lors de sa sortie du 22 mars, les remerciements du DG étaient adressés exclusivement au Président Macky Sall qui, selon ses dires, suit personnellement l’évolution du dossier et lui apporte un soutien indéfectible. Au point que Bohn disait que le succès d’Air Sénégal n’est pas le tien, mais celui de Macky Sall.
Pour lui donc, il n’y avait que Macky Sall pour lui indiquer la voie. “Si vous voyez bien, personne n’avait des informations sur Air Sénégal, à part les aspects commerciaux. Ce n’est que dernièrement qu’il a commencé à communiquer un peu, sinon personne n’était informé de rien”, indique une source.
Document flouté délivré à Alioune Sall
Alioune Sall, le frère du Président Sall, et Souleymane Ndéné Ndiaye, le Pca de la compagnie en savent peut-être quelque chose. Dans un article publié sur son site, le journaliste Cheikh Yérim Seck écrit que Philippe Bohn a loué une licence à Hi Fly, parce que celle de l’avion A330 Neo a connu un retard. Alioune Sall a voulu en savoir davantage en demandant le contrat.
“Philippe Bohn le lui a remis, mais, tenez-vous bien, après avoir flouté tous les chiffres et clauses financières contenus dans le document”, s’insurge Cheikh Yérim. Le journaliste ajoute que Bohn a déplacé le siège social du centre ville aux Almadies, sans en informer le PCA Souleymane Ndéné Ndiaye. “Lorsque l’ancien Premier ministre a convoqué une réunion du Conseil d’administration afin de lui signifier son licenciement pour cette faute lourde, Bohn ne s’est pas présenté…”, renchérit-il.
A tout cela s’ajoute sa récente sortie dans laquelle il déclare qu’un airbus A380 peut être piloté par l’intelligence artificielle, car le drone se pilote seul. Une déclaration jugée insultante par le Collectif des pilotes sénégalais exerçant au Sénégal et à l’étranger (Cpse).
Dans un communiqué, ce Collectif a sèchement répliqué à Philippe Bohn, exigeant des excuses de sa part. “Faute de quoi, vous devrez trouver des drones pour assurer le programme de vol de la compagnie”, menaçaient les pilotes.
Le cocktail était sans doute assez explosif pour qu’il soit débarqué afin d’éviter le crash de la compagnie, comme c’était le cas avec Air Sénégal international et Sénégal Airlines.