Sur les marchés gabonais, les vendeuses de pangolin ont perdu leurs meilleurs clients : des Chinois qui venaient à l’ouverture pour rafler toute leur offre. Le principal coupable : le COVID-19 !
D’un geste, les vendeuses de viande de brousse des marchés de Libreville cachent les petits pangolins entre les gigots de sanglier et les carcasses de porcs-épics : la vente du mammifère recouvert d’écailles est formellement interdite au Gabon. « On mange du pangolin depuis des années, n’amenez pas la maladie ici », peste Mélanie, vendeuse de légumes dans un marché de la capitale gabonaise où elle s’improvise porte-parole, les marchandes de viande préférant garder le silence.
L’animal, considéré par des ONG de protection de l’environnement comme le plus victime de braconnage au monde, est en effet soupçonné par une équipe de chercheurs chinois d’avoir transmis le Covid-19 à l’homme, sur un autre marché de gibier, à quelque 11 000 kilomètres de Libreville, à Wuhan, en Chine. Résultat inattendu de la pandémie qui ébranle le monde entier : sur les marchés gabonais, les vendeuses ont perdu leurs meilleurs clients. Plusieurs d’entre elles affirment que des acheteurs chinois venaient à l’ouverture du marché pour rafler toute leur offre, mais qu’ils ont désormais disparu.
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Là où les Gabonais célèbrent la saveur de la viande de l’animal, considérée comme un met fin, les clients asiatiques s’intéressent également aux écailles qui recouvrent le pangolin. Utilisées dans la médecine chinoise, elles s’arrachent à prix d’or, « 1 000 dollars le kilo [quelque 900 euros], plus ou moins comme l’ivoire » auprès des revendeurs illégaux en Chine, détaille Luc Mathot, directeur de l’ONG Conservation Justice. Un prix qu’il juge « ridicule » puisque les écailles « sont faites de kératine, comme les ongles ».
Une aubaine pour les chasseurs d’Afrique centrale, qui considèrent le pangolin comme « la cerise sur le gâteau » quand ils partent avec pour cible un autre gibier, explique Pauline Grentzinger, vétérinaire du parc national de Lékédi. « Ils ne sont pas très farouches, explique-t-elle. Quand ils vous voient, ils se roulent en boule, il faut se baisser pour les ramasser… » Pourtant, le pangolin est une espèce qu’il est nécessaire de protéger, selon elle : « C’est une espèce peu apparentée à d’autres espèces et qui, en plus, représente des aspects uniques d’évolution. C’est le seul mammifère recouvert d’écailles ! »
L’une des espèces les plus menacées
Si le Nigeria et la République démocratique du Congo sont devenus des plaques tournantes du trafic d’écailles de pangolin, au Gabon, de façon plus informelle, des Chinois venus travailler dans les exploitations forestières s’intéressent aux écailles, estime Martin Hega, cadre scientifique et spécialiste du pangolin au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Le prix du pangolin gabonais, jusque-là consommé localement, a bondi ces dernières années, selon des chercheurs qui ont publié une étude sur le sujet en 2018 dans laquelle ils accusent le trafic international d’avoir dopé la demande.
Au Gabon, trois des quatre espèces africaines de pangolins vivent dans les forêts qui recouvrent 88 % du pays. Des normes strictes de protection de la faune ont été adoptées, et le pays a œuvré activement pour que le pangolin géant soit classé en 2016 comme l’une des espèces les plus menacées au monde et son commerce international interdit, affirme le ministre des eaux et forêts, Lee White. « Nous faisons de la surveillance aux frontières avec des équipes de chiens renifleurs » qui détectent les écailles, mais également l’ivoire des éléphants ou les peaux de panthère, détaille-t-il.
Au niveau national, le gibier « peut être vendu entre membres d’une même communauté » pour « un usage coutumier », mais son commerce sur les marchés de Libreville est « illégal », précise M. White. Mais les équipes de gardes forestiers manquent parfois de moyens face aux réseaux internationaux de trafiquants. Sauf si ces derniers sont eux-mêmes affectés par la panique créée par la propagation du coronavirus. « La Chine a fermé son marché aux viandes exotiques, depuis le temps que c’était demandé… », souligne Pauline Grentzinger.
Pour l’instant, sur les marchés de Libreville, alors qu’un seul cas de coronavirus a été détecté dans le pays, les amateurs de viande de brousse ne sont pas découragés. « On nous avait parlé du singe, qui donnerait Ebola, et pourtant on a continué à en manger et on n’a jamais eu ça », commente Mélanie. « Ça n’a pas d’impact sur la santé. Au contraire, le plus important, c’est de le manger frais », estime Tatiana, une cliente.
Source : Le Monde