Cheikh Béthio Thioune, décédé ce mardi au lendemain de sa condamnation à 10 ans de travaux forcés, a vu le jour vers 1938, à Keur Samba Laobé, un village baptisé plus tard Madinatoul Salam par Serigne Saliou Mbacké, près de Mbour. Retour sur les péripéties de la vie du guide des thiantacônes.
Serigne Saliou
L’annonce du décès, dans un contexte particulier, de celui qui a mis sur pied une communauté religieuse constituée d’hommes et de femmes qui se définissent comme des «thiantacounes», en rajoute à la tristesse de sa famille et de ses disciples. Intouchable pour les uns, homme au destin hors du commun pour les autres, Cheikh Béthio Thioune n’aura laissé, en 81 ans de vie terrestre, personne indifférent.
Élevé au grade de Cheikh en 1987, par feu Serigne Saliou Mbacké, qu’il a rencontré un soir du 17 avril 1946 à Madinatoul Salam, le jeune talibé Béthio Thioune débute, trois mois plus tard (3 novembre), ses études à l’école française régionale de Mbour jusqu’en classe de Ce2, en 1952. Puis, il passe et obtient, à Thiès, son Certificat d’études primaires qui précède son passage en 6e en 1955, au lycée moderne de Thiès devenu Malick Sy.
En 1959, Cheikh Béthio décroche son Bepc (actuel Bfem) et suit sa seconde au lycée Faidherbe de Saint-Louis. L’année suivante, il intègre le lycée Van Vollenhoven (devenu Lamine Guèye) et brièvement le lycée Delafosse de Dakar. La voix rauque, l’embonpoint en bandoulière, ayant un sens inégalé de la répartie, caustique par moments, Serigne Béthio Thioune ne laisse personne indifférent.
Administrateur civil
Des «daaras» de feu Serigne Saliou aux champs de Khelcom, en passant par les meetings politiques du Parti démocratique sénégalais (Pds), «Cheikh Bi», comme l’appellent affectueusement ses disciples, est un personnage déroutant et intéressant à la fois. Élevé au grade de cheikh par le défunt khalife général des mourides depuis 1987, Serigne Béthio Thioune reste, pour ses inconditionnels, un condensé de temporel et de spirituel. Pour ne pas dire un chef et un cheikh.
Administrateur civil de classe exceptionnelle à la retraite, produit de l’École nationale d’administration et de magistrature (Enam)- promotion Gabriel d’Arboussier en 1976, dont faisait partie le secrétaire général du Parti socialiste (Ps) Ousmane Tanor Dieng- il a aussitôt intégré la haute administration. Cet énarque, originaire de Thiès, qui fréquentait Serigne Saliou depuis l’âge de 8 ans, a eu un brillant parcours qui l’a conduit dans plusieurs régions du pays.
«Cheikh Ibra» de Serigne Saliou
Parler de Cheikh Béthio Thioune n’est pas chose facile, tant les mystères et les voiles qui séparent sa condition du champ de la compréhension humaine font florès. Juste pourrait-on avancer que le fait que Serigne Saliou ait élevé au grade de cheikh le haut fonctionnaire de l’État qu’il fut, prouve, de façon éclatante, la sacralité de ses relations avec feu Serigne Saliou.
Surtout quand on sait que le dernier cheikh du mouridisme, avant lui, a été sacré par Serigne Touba en 1912 et se nommait Serigne Madiba Sylla. Il était présenté par ses disciples comme «un chef sur le plan temporel et un cheikh sur le plan spirituel».
Bénéficiant de l’agrément et de la confiance du défunt khalife général des mourides auprès de qui il revendique 60 ans de compagnonnage, il était devenu, par la force des choses, un modèle de relation entre le maître et son disciple. Leur relation finit d’ailleurs par être assimilée à celle qui existait entre Cheikh Ahmadou Bamba et Cheikh Ibra Fall.
Cheikh en 1987
Mais, on ne saurait parler de «Cheikh Bi» sans revenir à cette «force mystique», pour ne pas dire transcendante, qu’il tire de la «singulière» relation qu’il a toujours entretenue avec feu Serigne Saliou Mbacké. C’est, en effet, ce dernier, alors qu’il n’était pas encore khalife, qui le gratifia du titre de cheikh, en 1987.
Parmi les révélations que Serigne Saliou a faites à Cheikh Béthio, il convient de retenir cette célèbre sentence : «Ma relation avec toi peut être assimilée au rapport entre deux vases dont on prendrait un pot pour verser le contenu de l’un dans l’autre. Tu ne peux en connaître que les gouttes d’eau qui tombent entre les deux vases. Ce que j’ai mis en toi n’est connu que de mon Seigneur.»
«4 millions de talibés»
Avec quatre millions de disciples lui ayant fait allégeance au Sénégal et de par le monde, sa descente tonitruante dans l’arène politique, à la veille de la dernière élection présidentielle, n’avait pas manqué de soulever l’ire de nombreux observateurs.
Mais aussi et surtout d’adversaires politiques du président Abdoulaye Wade qu’il se promettait de «réélire au soir du 25 février 2007». En franchissant de cette façon le Rubicon politique, Cheikh Béthio venait de poser un acte qui, par la suite, ne fera pas que des heureux.
Son aura y a été sans doute pour quelque chose. En atteste sa singulière «rentrée politique» dans sa ville natale de Thiès, considérée alors comme une forteresse sous la coupe réglée d’un certain Idrissa Seck. Un pari pour le moins fou, qu’il aura réussi. Connu pour ses innombrables «thiant» (cérémonies populaires d’actions de grâce), il a toujours été dépeint sous les traits de «quelqu’un qui ne fait pas de demi-mesure et qui assume entièrement ses choix».