En prison au Sénégal depuis 2017 pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste : Boukhary Bah disculpé par…le parquet

Ce mardi 30 mars, Boukhary Bah a comparu devant la chambre criminelle à formation spéciale au tribunal de grande instance hors classe de Dakar. Il est poursuivi pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.

L’arrestation de ce peulh malien originaire de Nampala, dans le cercle de Niono, région de Ségou remonte au 16 août 2017. Quatre jours plus tôt, il a oublié un téléphone de marque Samsung dans une banque de Dakar. Par l’entremise du vigile qui a ramassé le portable, la défense parle de curiosité, les services de sécurité du Sénégal sont mis dans le secret de cet oubli. L’exploitation de l’appareil cellulaire a permis aux enquêteurs de découvrir des images à caractères jihadistes. Il a été aussi constaté que le nommé Boukhary Bah était membre d’un groupe WhatsApp dénommé Andal Pulaku. Groupe dans lequel seraient partagées des images violentes.

Devant la barre, l’accusé, tout de blanc vêtu, masque en évidence en raison du coronavirus, a reconnu être membre de ce groupe. Il précise cependant que ce groupe qu’il a découvert au foirail de Sicap Mbao où il vend des bœufs, n’est pas un rendez-vous de terroristes où se partage du contenu à caractère jihadiste. Selon lui, les discussions tournaient autour de simples salutations. Pourtant l’accusation a soupçonné Boukhary Bah d’avoir rencontré dans ce groupe un certain Boureima Barry alias Atoumane qui serait l’un des chefs du Front de Libération du Macina.

Ce groupe est la filiale d’Ansar Dine dirigé par Iyad Ag Ghali, dans le centre du Mali. Son émir est le jihadiste Peulh Amadou Kouffa. Boukhary Bah avoue connaître Atoumane depuis leur tendre enfance à Nampala. Mais il ne le connaît pas sous le manteau de jihadiste décrit par l’accusation. « Je l’ai vu à Bamako deux ans avant mon arrestation », ajoute l’accusé. Qui dit n’être affilié à aucun groupe d’idéologie jihadiste. « Tout ce que je peux vous dire, c’est que dans notre village, on est souvent attaqué par des bandits qui nous volent notre bétail », consent-il à dire. Boukhary Bah a d’ailleurs fait savoir que c’est suite à ces attaques et à une série de vol d’argent dont son entourage a fait l’objet,  qu’il a ouvert un compte bancaire à la Banque nationale de développement agricole du Mali (BNDA). C’est d’ailleurs pour transférer de l’argent dans ce compte depuis le Sénégal qu’il avait fait le déplacement du 12 août qui lui a valu son séjour carcéral depuis maintenant 4 ans. Accompagné d’un autre compatriote répondant au nom de Soumaila Barry, domicilié à Sicap Mbao, il n’a pas pu faire le dépôt ce jour.

Éleveur de profession, il fait la navette entre le Sénégal et le Mali pour écouler ses bœufs. « Il m’arrive de venir au Sénégal trois fois dans l’année. Et ce depuis 2003 », confie -t-il au tribunal en pulaar. C’est pour envoyer de l’argent au Mali qu’il s’est rendu le 12 août 2017 à la Boa de l’avenue Lamine Guèye.

Les enquêteurs ont découvert qu’il a envoyé au moins 20 millions de francs au Mali en passant par Dassy Bathily. Au prétoire, Bah ne dira pas le contraire meme s’il souligne que ce n’est qu’une seule fois qu’il a requis les services de ce compatriote. Appelé à la barre à titre de témoin, Dassy Bathily a confirmé les dires de l’accusé qu’il précise avoir connu par le biais de son tuteur Nouhoum Diallo. Ce dernier a fait de même lorsqu’il a été invité à confirmer ou infirmer le témoignage de Dassy Bathily.

Dassy Bathily reçoit de l’argent des convoyeurs qu’il échange en marchandises, exactement en ciment qu’il envoie ensuite au Mali. Une fois la marchandise reçue au Mali, son frère restitue l’argent au convoyeur. C’est le même procédé qui a été d’usage avec l’éleveur Boukhary Bah. Mais pour l’accusation, des velléités de blanchiment de capitaux se cachaient derrière ce procédé. Ce que l’accusé a vivement contesté. Il a ajouté avoir eu recours à ce genre de méthode depuis qu’il séjourne au Sénégal pour ses activités économiques, exactement la vente de bétail.

Concernant le téléphone de marque Samsung qui contenait les images explicites jihadistes, celui qui l’a vendu à Boukhary Bah s’est présenté devant la Chambre criminelle. Établi à Diamaguène Sicap Mbao où il dit tenir une boutique de vente de téléphone, Boubacar Guèye a admis avoir vendu à l’accusé le téléphone non sans préciser qu’il était neuf lorsqu’il le lui cédait.

Interrogé sur son niveau de connaissance du coran, Boukhary Bah affirme maîtriser le livre saint à partir Amayata, en partant de « Nassi ». « Moi je ne maîtrise que la Fatiha et Ikhlass », ironise Me Mounir Ballal de la défense.

Des attentats de 2016 qui ont occasionné la mort d’une dizaine de soldats maliens à Nampala, Boukhary Bah ne retient que les inquiétudes qu’il nourrissait pour ses proches restés au village. Cette attaque sanglante avait été revendiquée par Ansar Dine au Macina ou Front de Libération du Macina. 

Que sait-il de son chef, Amadou Kouffa ? Boukhary Bah affirme avoir juste entendu parler de ce nom.

Quid du Front de Libération du Macina ? Boukhary fait savoir au tribunal qu’il ne sait rien de ce groupe. Son tuteur au Sénégal, Nouhoum Diallo le décrit comme un casanier qui n’a pas beaucoup d’activités quand il vient au Sénégal. « À part la maison, le foirail et la mosquée, il n’a pas d’autres fréquentation », témoigne M. Diallo qui lui-même ignore le djihadisme et tout ce qui s’y rapporte.

Le représentant du parquet qui n’a pas souhaité entendre les témoins était visiblement pressé de faire son réquisitoire pour…disculper l’accusé. En effet, il n’est pas passé par quatre chemins pour reconnaître qu’il n’y a aucun élément attestant de supposées connexions entre Boukhary Bah et les groupes jihadistes.

D’après le représentant du ministère public, l’exploitation du contenu du téléphone de Boukhary Bah n’a à ce jour pas permis d’établir qu’il participait à un projet jihadiste. Il affirme lui-même avoir parcouru les 102 messages du groupe auquel appartenait l’accusé mais il n’a relevé aucun message à caractère jihadiste. « Rien ne nous dit qu’il est sous le contrôle opérationnel de groupe jihadiste », renchérit le parquet qui conclut qu’il n’y a «aucune entente orientée vers la commission d’actes terroristes ». De même, le parquet enlève le caractère jihadiste collé au groupe Andal Pulaku par les autorités maliennes. Tout ce raisonnement l’amène à requérir l’acquittement de l’accusé.

Ce réquisitoire très courageux a été salué à sa juste valeur par la défense qui a embouché la même trompette. Pour Me Ballal et Me Mbengue, acquitter Boukhary Bah qui est en détention préventive depuis 2017 ne serait que justice. Après avoir écouté toutes les parties, le juge a mis l’affaire en délibéré pour le 29 avril…

Share:

Author: Fatima

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *