- Quelles sont les origines du conflit entre lâUkraine et la Russie ?
Ancienne rĂ©publique soviĂ©tique devenue indĂ©pendante en 1991, lâUkraine est divisĂ©e entre une majoritĂ© pro-occidentale et une minoritĂ©, russophone habitant Ă lâEst, dite « pro-russes ».
En 2005, lâĂ©lection du prĂ©sident pro-occidental Viktor Iouchtchenko marque les dĂ©buts du rapprochement entre Kiev, lâUnion europĂ©enne et lâOTAN, mais le prĂ©sident pro-russe Ă©lu en 2010 Viktor Ianoukovitch refuse de signer lâaccord dâassociation avec lâUE.
Cette dĂ©cision provoque en 2014 la rĂ©volution de MaĂŻdan, Ă lâorigine de la destitution du prĂ©sident pro-russe. Un mois plus tard, une guerre civile Ă©clate dans le Donbass, Ă lâEst du pays, entre des forces pro-russes soutenues par Moscou et le pouvoir central de Kiev. Vladimir Poutine en profite alors pour annexer la CrimĂ©e.
AutoproclamĂ©es indĂ©pendantes, deux rĂ©publiques naissent du conflit qui a fait 13 000 morts : la RĂ©publique populaire de Donetsk et la RĂ©publique populaire de Lougansk. Les tensions sâapaisent lĂ©gĂšrement avec les accords de paix de Minsk de 2015, mais la situation ne fait quâaccroĂźtre le soutien de lâOtan Ă lâUkraine.
- Quand la situation sâest-elle dĂ©gradĂ©e ?
Au mois dâoctobre 2021, les responsables amĂ©ricains du renseignement sâinquiĂštent des mouvements des troupes russes Ă la frontiĂšre ukrainienne. Ceux-ci ont Ă©tĂ© documentĂ©s et des vidĂ©os circulent sur les rĂ©seaux sociaux montrant des trains et des camions russes transportant, des tanks et des missiles.
La Russie est alors accusĂ©e de dĂ©ployer plus de 100 000 militaires et de fournir des troupes et des armes aux sĂ©paratistes pro-russes de lâest de lâUkraine. Moscou justifie ces mouvements par la nĂ©cessitĂ© de rĂ©agir aux activitĂ©s « menaçantes » de lâOTAN.
- Quâont donnĂ© les Ă©changes diplomatiques ?
Les Ă©changes entre les reprĂ©sentants russes, ukrainiens et des pays occidentaux â dont la France â se sont multipliĂ©s depuis le mois de dĂ©cembre. Mais ils sont restĂ©s dans lâimpasse.
Les Ătats-Unis ont appelĂ© la Russie Ă la dĂ©sescalade militaire tandis que Vladimir Poutine, quant Ă lui, demande des garanties Ă Biden sur le non-Ă©largissement de lâOtan, dont il dĂ©nonce « le potentiel militaire » croissant aux frontiĂšres russes. Mais Washington rejette, mercredi 26 janvier, la demande russe de bloquer lâadhĂ©sion de lâUkraine au TraitĂ© de lâAtlantique nord.
« Les points les plus importants pour Vladimir Poutine ont donc Ă©tĂ© ignorĂ©s. Ce dernier a dĂ©cidĂ© de laisser ses troupes Ă la frontiĂšre et câest lĂ que le ballet diplomatique a commencĂ© et que les Ătats-Unis ont rapidement parlĂ© dâinvasion » analyse pour la DĂ©pĂȘche Carole Grimaud Potter, professeure de gĂ©opolitique de la Russie.
En fĂ©vrier, Emmanuel Macron se pose en mĂ©diateur et rencontre Vladimir Poutine Ă Moscou. Au terme de cinq heures dâentretien et des dĂ©clarations peu concrĂštes, le prĂ©sident français tente de rassurer Ă propos de la crise ukrainienne : « Jâai obtenu quâil nây ait pas de dĂ©gradation et dâescalade ». Mais il nâen est rien.
- Quâest-ce qui a remis le feu aux poudres ?
Ă partir du 17 fĂ©vrier, les Ă©changes de tirs dâarmes lourdes sâintensifient le long de la ligne de front entre sĂ©paratistes pro-russes et forces ukrainiennes. Selon les renseignements amĂ©ricains, Moscou a dĂ©ployĂ© plus de 150 000 soldats.
Le 21 fĂ©vrier, dans une allocution tĂ©lĂ©visĂ©e qui sonne telle une dĂ©claration de guerre, Vladimir Poutine reconnaĂźt lâindĂ©pendance des rĂ©gions sĂ©paratistes pro-russes de lâest de lâUkraine.
La reconnaissance des RĂ©publiques populaires de Donetsk et de Lougansk par le prĂ©sident russe entrave les accords de Minsk et laisse planer la menace dâune avancĂ©e de la ligne de front vers lâOuest. Dâautant plus quâun dĂ©cret ordonne aux troupes russes de rentrer dans ces rĂ©publiques sĂ©paratistes ukrainiennes pour une opĂ©ration de « maintien de la paix ».
- Quelles sanctions ont Ă©tĂ© prises par lâOccident ?
Au lendemain du discours de Vladimir Poutine, lâOccident a annoncĂ© une sĂ©rie de sanctions visant surtout le secteur financier russe.
Les mesures europĂ©ennes, consistant en une interdiction de voyage et un gel des avoirs dans lâUE, sâattaquent Ă 23 « personnalitĂ©s de premier planâ», trois banques, une sociĂ©tĂ© et 351 membres de la Douma. Des sanctions financiĂšres ont Ă©galement Ă©tĂ© mises en place par le Royaume-Uni, le Canada et les Ătats-Unis, qui coupent la Russie des financements occidentaux.
Hormis la symbolique suspension, par lâAllemagne, du gazoduc Nord Stream 2, qui nâĂ©tait pas encore en service, les Occidentaux font pour le moment lâimpasse sur le secteur Ă©nergĂ©tique russe. Ces sanctions « ne vont pas encore oĂč le bĂąt blesse, câest une Ă©tape cohĂ©rente par rapport Ă la dĂ©fense des intĂ©rĂȘts Ă©conomiques europĂ©ens », souligne Olivier Dorgans, avocat spĂ©cialisĂ© sur les sanctions Ă©conomiques au cabinet Ashurst.
- Ces sanctions sont-elles efficaces ?
Si les sanctions se cantonnent au plan financier, elles ne devraient pas ĂȘtre trĂšs efficaces. Depuis plusieurs annĂ©es, le maĂźtre du Kremlin a opĂ©rĂ© une « autonomisation » de son pays pour rĂ©sister aux sanctions. La dette publique de la Russie est ainsi auto-dĂ©tenue Ă 80 % dĂ©sormais.
Et le pays a des rĂ©serves. « ï»żLa Banque Centrale russe a progressivement augmentĂ© son stock dâor pour rĂ©duire sa dĂ©pendance au dollar. La Russie dispose aussi dâun fonds souverain dont les encours sont dâenviron 180 milliards de dollars », explique Catherine Karyotis, professeure de finance Ă Neoma Business School et spĂ©cialiste des marchĂ©s boursiers.
« La Russie est sous sanctions depuis 2014 » rappelle Ă La DĂ©pĂȘche Carole Grimaud Potter. « Elles ne lui font pas peur. Le Kremlin sait les contourner. Je ne vois pas trop comment un changement de politique pourrait advenir de la part de Vladimir Poutine en raison de ces sanctions » explique lâexperte de la Russie.
- Que souhaite Vladimir Poutine ?
Selon son discours, lundi, le chef du Kremlin demande « des garanties de sĂ©curitĂ© pour lâOtan et la Russieâ ». Il liste trois points : la non-expansion de lâOtan vers lâEst, le non-dĂ©ploiement dâarmes offensives prĂšs des frontiĂšres de la Russie et le retour Ă la situation de 1997. « LâOtan est aux portes de la Russie, et câest le cauchemar de Vladimir Poutine », commente la journaliste StĂ©phanie Perez sur France 2.
Mais selon le politologue, Nicolas Tenzer, lâOtan est un prĂ©texte. « Il y a une volontĂ© claire de Poutine de remettre complĂštement la main sur ces territoires de Louhansk et de Donetsk, de dĂ©clencher une offensive pour prouver quâil est le plus fort et quâil se moque de lâoccident » explique lâenseignant de Sciences Po, Ă France Info. « JusquâĂ prĂ©sent, il a toujours rĂ©ussi Ă imposer son ordre du jour. Les EuropĂ©ens et les AmĂ©ricains sont en rĂ©action face Ă lui » ajoute-t-il.
- Comment se prĂ©pare lâUkraine ?
Face Ă la menace russe, lâUkraine se prĂ©pare Ă la guerre. Les forces armĂ©es ukrainiennes ont annoncĂ© un plan de mobilisation des rĂ©servistes de 18 Ă 60 ans. Environ 200 000 hommes sâajoutent ainsi aux 250 000 des forces armĂ©es rĂ©guliĂšres et un nombre indĂ©terminĂ© de membres des forces de dĂ©fense territoriales.
LâĂ©tat dâurgence a Ă©galement Ă©tĂ© adoptĂ©, mercredi 23 fĂ©vrier, permettant aux autoritĂ©s de « renforcer la protection » de lâordre publique et des infrastructures stratĂ©giques, « limiter la circulation des transports », intensifier la vĂ©rification des vĂ©hicules et des documents des citoyens.
Le ministĂšre ukrainien des Affaires Ă©trangĂšres a par ailleurs appelĂ© ses ressortissants Ă quitter la Russie immĂ©diatement, tandis que trois aĂ©roports ont Ă©tĂ© fermĂ©s mercredi soir, jusquâĂ ce jeudi matin, sans quâaucune raison nâait Ă©tĂ© donnĂ©e.
Par ailleurs, le prĂ©sident ukrainien Volodymyr Zelensky, sâexprimant exceptionnellement en russe, en a appelĂ© dans la nuit de mercredi Ă jeudi Ă la sociĂ©tĂ© civile russe pour tenter dâempĂȘcher une guerre quâil accuse le Kremlin de prĂ©parer. « Les Russes veulent-ils la guerre ? Jâaimerais tant connaĂźtre la rĂ©ponse Ă cette question. Et cette rĂ©ponse dĂ©pend de vous, citoyens de la fĂ©dĂ©ration de Russie », a-t-il dĂ©clarĂ©, rĂ©vĂ©lant avoir tentĂ© de parler, sans succĂšs, Ă Vladimir Poutine.
Un sommet extraordinaire des dirigeants des 27 pays de lâUnion europĂ©enne se tiendra ce jeudi 24 fĂ©vrier soir Ă Bruxelles et une rĂ©union virtuelle du G7 ( Ătats-Unis, Japon, Allemagne, Royaume-Uni, France, Italie, Canada) aura lieu plus tĂŽt dans la journĂ©e.
- La guerre est-elle lancée ?
Vladimir Poutine a annoncĂ© ce jeudi 24 fĂ©vrier, dans une dĂ©claration surprise Ă la tĂ©lĂ©vision peu avant 4 h, une « opĂ©ration militaire spĂ©ciale » en Ukraine pour dĂ©fendre les sĂ©paratistes de lâest du pays, et « dĂ©militariser et dĂ©nazifier » son voisin pro-occidental.
Le prĂ©sident russe justifie cette offensive par le supposĂ© appel Ă lâaide des sĂ©paratistes dans la nuit et la politique agressive de lâOtan Ă lâĂ©gard de la Russie et dont lâUkraine serait lâoutil. Il promet de conduire « au tribunal ceux qui ont commis de nombreux crimes, responsables de lâeffusion de sang de civils, notamment des citoyens russes ».
Le chef du Kremlin a appelĂ© les Ukrainiens « Ă dĂ©poser les armes », assurant quâils pourront alors « quitter le champ de bataille sans entrave ». Puis, il sâest adressĂ© Ă ceux « qui tenteraient dâinterfĂ©rer », avertissant que « la rĂ©ponse de la Russie sera immĂ©diate et conduira Ă des consĂ©quences que vous nâavez encore jamais connues ».
Peu aprĂšs cette dĂ©claration surprise du maĂźtre du Kremlin, de puissantes explosions ont Ă©tĂ© entendues Ă Kiev, Odessa (sud), Donetsk et Kharkiv, la deuxiĂšme ville du pays, Ă la frontiĂšre russe et dans lâest de lâUkraine, notamment Ă Kramatorsk, ville qui sert aussi de quartier gĂ©nĂ©ral Ă lâarmĂ©e ukrainienne.
Le ministĂšre russe de la dĂ©fense a ensuite annoncĂ© avoir dĂ©truit les systĂšmes de dĂ©fense anti-aĂ©rienne et mis « hors service » les bases aĂ©riennes de lâUkraine, tout en assurant que les frappes aĂ©riennes nâĂ©taient pas dirigĂ©es contre des villes et ne reprĂ©sentaient aucune menace pour les populations civiles.
Beaucoup redoutent que la crise ne mĂšne au plus grave conflit en Europe depuis 1945.