Le ministre de l’éducation nationale confond vitesse et précipitation

Qui trop embrasse, mal étreint, dit l’adage. En cette rentrée scolaire 2024-2025, le ministère de l’éducation nationale risque de mal étreindre, parce qu’il embrasse trop. Quand il est arrivé au ministère, Moustapha Guirassy a trouvé pas mal de déficit : enseignants, blocs pédagogiques, laboratoires pour les filières scientifiques, abris provisoires…

Le ministère a donc assez de priorités auxquelles il doit s’attaquer, sans oublier la réorientation tant attendue du système de la domination écrasante des filières littéraires vers des les Sciences, maths et ingénierie. Une fois au pouvoir, l’ancien régime s’était promis de renverser la tendance après la concertation nationale sur l’avenir de l’enseignement supérieur (Cnaes) et les assises nationales de l’éducation et de la formation (Anef).
Pourtant, un an avant le départ de Macky Sall, le Sénégal s’est retrouvé avec 82% de littéraires. En 2024, les candidats littéraires  (130 329) font plus de 4 fois les scientifiques (29 150). La réalité est presque la même en matière de ratio entre le baccalauréat général et le bac technique. En voilà donc assez de priorités pour le ministre de l’Education nationale.
Pourquoi donc se précipiter à vouloir engager d’autres chantiers encore plus difficiles comme l’introduction de l’anglais au primaire ou la création de Lycées nation-armée pour la qualité et l’équité (LYNAQE).
Ces questions sur l’anglais au primaire
Prenons le cas de l’anglais au primaire. Nul ne doute de l’importance de l’anglais, la langue de la science et des affaires à travers le monde. Les jeunes sénégalais ont donc besoin de maîtriser cette langue pour être au fait de ce qui se passe, mais surtout participer à la recherche, à l’innovation et au développement technologique. Mais est-ce que l’école sénégalaise, le système éducatif du Sénégal a été préparé pour intégrer cette nouvelle donne. Déjà, le déficit en enseignants est important au primaire. Il y a beaucoup de classes multigrades ou à double flux. 
Certaines classes attendent leur enseignant jusqu’au-delà du mois d’octobre. Et c’est pire encore dans le moyen-secondaire où un prof de math, de Pc ou de philo peut être introuvable jusqu’en décembre. Le ministère doit donc travailler à ce que les enseignants en formation terminent à temps pour rejoindre les classes en octobre. Le fameux ‘’Ubbi tey, jàng tey’’ ne doit plus être un concept ou un but, 10 ans après son lancement. Il doit devenir une réalité.
Pour en revenir à l’anglais au primaire, la question se pose de savoir où est-ce que le ministère trouvera les ressources humaines, autrement dit, une masse critique de maîtres pouvant enseigner l’anglais. De quelle compétence pédagogique disposent-ils? D’où est-ce qu’ils seront pris ? Si c’est parmi les enseignants déjà en poste au primaire, le ministère ne fera que creuser davantage le déficit. S’il va recruter ailleurs, de quelle formation vont bénéficier ces nouvelles recrues et pour quelle durée ?
Par ailleurs, il est évident que le Sénégal ne dispose pas de support pédagogique à cet effet. Or, il faut des manuels pour introduire l’anglais à l’école. On comprend d’ailleurs le scepticisme de la Cosydep à ce propos. « Les implications d’une telle décision nécessitent une large concertation avec toutes les parties prenantes, une mobilisation de moyens conséquents et le temps requis pour réussir toute réforme engagée », déclarent Cheikh Mbow et Cie.
L’autre nom du Prytanée militaire
Alors qu’on se pose des questions sur l’anglais au primaire, un communiqué conjoint du ministère de l’éducation et celui des forces armées annoncent la création de Lycée nation-armée pour la qualité et l’équité (LYNAQE). Une initiative qui, selon le document, vise à mutualiser les moyens et les savoir-faire des deux ministères pour « faire face aux défis du civisme, de la discipline, de la rigueur, de la citoyenneté, du patriotisme, du travail, du don de soi et de la cohésion nationale ». Bref, du Prytanée militaire qui ne dit pas son nom.
Si l’objectif est d’enseigner le civisme, le patriotisme et la citoyenneté, il n’y a point besoin de créer de nouvelles écoles. Surtout pas des écoles d’élite où les pensionnaires seront nourris, logés et blanchis. Une école qui va grever davantage le budget du ministère de l’éducation. A la place, on peut supprimer une bonne partie de ces programmes encyclopédiques pour réintroduire et même renforcer l’éducation civique et la citoyenneté. Si on pense que l’armée est la seule à pouvoir apporter la rigueur (ce qui est archi faux mais qui semble être la conviction des nouvelles autorités), pourquoi pas faire intervenir les militaires dans les écoles ?
Le Sénégal gagnerait à mettre ces ressources dans le renforcement des lycées techniques et l’équipement des labos dans tous les autres lycées du Sénégal pour booster les séries scientifiques. Notre pays a besoin de cette ressource pour enseigner l’informatique aux élèves. Je ne parle pas ici de quelques cours d’initiation où on apprend à allumer un écran et une unité centrale ou à ouvrir une page Word ou un moteur de recherche, au meilleur des cas. Mais d’un vrai apprentissage de l’informatique avec le minimum pour travailler sur ordinateur avec les logiciels et applications les plus usités.
Le ministère devrait donc revoir son calendrier. Engager certes des réformes hardies, mais le faire avec beaucoup d’intelligence et une planification rigoureuse. C’est seulement à ce prix qu’on évitera les échecs consécutifs à une précipitation, un manque de préparation et finalement un gaspillage de nos maigres ressources.

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Author: Serigne Saliou Seck

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