Fonction biologique essentielle de l’organisme, le sommeil reste mal connu. Des chercheurs de l’Université de Lausanne (UNIL) et de l’Institut suisse de bioinformatique (SIB) ont tenté sur la souris une nouvelle approche à large échelle.
Les scientifiques ont utilisé la méthode dite de la «génétique des systèmes», a indiqué vendredi l’UNIL dans un communiqué. Le but est de tirer des déductions sur certains phénomènes biologiques en liant de multiples niveaux d’information.
Les variations génomiques constituent le niveau principal, qui peut être complété par d’autres niveaux tels que les phénotypes – l’ensemble des traits observables d’un organisme -, ou encore le niveau d’expression des gènes et les métabolites.
«La génétique des systèmes permet d’avoir une vue globale et interconnectée de nombreux phénomènes», explique Paul Franken, professeur associé au Centre intégratif de génomique (CIG) de l’UNIL et directeur de cette étude publiée dans la revue PLOS Biology.
«Elle est par conséquent considérée comme une approche très prometteuse pour mieux prédire et comprendre certaines prédispositions à des maladies», poursuit le spécialiste, cité dans le communiqué.
Réactions variables
Les chercheurs ont utilisé cette méthode chez la souris dans le but d’identifier des voies de signalisation moléculaire qui prédisent la résilience ou la sensibilité à la privation de sommeil. Sept années de travail ont été nécessaires pour assembler et analyser ces données, et finalement aboutir à la création d’une base de connaissances libre et interactive.
«Cette base recense les effets de la privation de sommeil ainsi que des variations génomiques sur le cerveau, le foie et le métabolisme des souris, mais aussi sur leur activité cérébrale et leur comportement d’éveil-sommeil à un niveau de détails sans précédent», précise Maxime Jan, co-premier auteur de cette recherche avec Shanaz Diessler.
Variants génétiques
L’exploration de ces données a mis en lumière le fait que la privation de sommeil durant la première moitié de la phase de repos habituelle affecte de manière sensible les différents systèmes des souris. Pas moins de 78% des gènes du cerveau ont ainsi vu leur expression se modifier.
«Nous avons identifié un certain nombre de variants génétiques qui n’exercent leur action que suite à une privation de sommeil et non lorsqu’ils ne sont pas perturbés», relève Paul Franken.
Ces variants peuvent déterminer l’amplitude, voire dans certains cas la direction de la réponse moléculaire ou comportementale à la privation de sommeil. Cela explique les changements interindividuels importants qui résultent d’un sommeil insuffisant.
Vision du sommeil revisitée
Selon les auteurs, l’observation la plus frappante réside vraisemblablement dans le fait que des molécules et voies métaboliques actives uniquement dans un tissu périphérique (foie) semblent influencer directement certaines caractéristiques considérées comme appartenant au système nerveux central.
Ils citent à titre d’exemple la fréquence des oscillations provenant de régions cérébrales spécifiques comme l’hippocampe. Des données convergentes ont également mis en avant l’implication du métabolisme des acides gras dans les conséquences négatives de la perte de sommeil.
«De telles découvertes peuvent non seulement ouvrir la voie à de nouvelles stratégies thérapeutiques, mais aussi remettre en question la vision du sommeil principalement centrée sur le cerveau qui a longtemps guidé les hypothèses sur sa fonction et sa régulation», commente Maxime Jan.
La collaboration va se poursuivre afin de renforcer les connaissances en ajoutant des nouveaux niveaux de régulation moléculaire. Le développement de nouveaux outils bioinformatiques sera requis pour mettre en évidence les nombreuses interactions et voies encore cachées dans ces données. (ats/nxp)