Famara Ibrahima Sagna, 81 ans, est portĂ© Ă la tĂȘte du ComitĂ© de pilotage du dialogue national. Plusieurs fois ministre, ancien prĂ©sident du Conseil Ă©conomique et social, baron du Ps dâAbdou Diouf et grand ami de Wade, il est rĂ©putĂ© au-dessus des clivages partisans et fin nĂ©gociateur.
Macky Sall a tuĂ© le suspense un jour avant la date indiquĂ©e par le ministre de lâIntĂ©rieur, Aly Ngouille Ndiaye. Hier, mardi 28 mai, au Palais, au cours de la cĂ©rĂ©monie de lancement du dialogue national, le chef de lâĂtat a sorti de son chapeau le nom de la “personnalitĂ© neutre” chargĂ©e de conduire les concertations entre pouvoir, opposition, SociĂ©tĂ© civile, autoritĂ©s religieuses et coutumiĂšres, autour de sujets dâintĂ©rĂȘt national : Famara Ibrahima Sagna.
“Je lâai choisi pour sa vertu et ses qualitĂ©s dâhomme de dialogue ayant dĂ©montrĂ© sa capacitĂ© dâĂȘtre au-dessus des clivages”, a justifiĂ© le prĂ©sident de la RĂ©publique devant ses nombreux invitĂ©s rĂ©unis dans lâimmense Salle des banquets du Palais. Avant dâajouter : “Il mâa semblĂ© particuliĂšrement indiquĂ© et habilitĂ© pour coordonner lâanimation de cet exercice hautement important pour le devenir de la nation sĂ©nĂ©galaise.”
ProposĂ© quelques jours auparavant par une partie de la SociĂ©tĂ© civile, en ballotage trĂšs dĂ©favorable avec lâancien ministre socialiste, Mazide Ndiaye sâincline : “On avait proposĂ© que je puisse, avec une Ă©quipe, diriger le dĂ©bat. Mais Ă©videmment, je pense que le choix qui a Ă©tĂ© fait est meilleur. Et nous nous alignons.”
Pour le reste, le prĂ©sident du Gradec fait, indirectement, une suggestion de forme Ă Famara Ibrahima Sagna : “Nous devons commencer par discuter du format du dialogue, parce que si le dĂ©bat est mal engagĂ©, il nâaboutira nulle part. Pour bien lâengager, il faut que chacun connaisse les rĂšgles et que chacun les accepte.”
Visiblement lâintĂ©ressĂ© a captĂ© le message 5/5. “Je ne sais pas combien de temps les travaux vont durer. Il faut une premiĂšre rĂ©union pour arrĂȘter un protocole de travail”, temporise Famara Ibrahima Sagna devant une nuĂ©e de micros, dictaphones et autres enregistreurs.
“Tarass Boulba”
ParĂ© dâĂ©normes lunettes de soleil noires Dolce & Gabbana et habillĂ© dâun deux-piĂšces immaculĂ©, le coordonnateur du ComitĂ© de pilotage du dialogue national Ă©tait la star de la cĂ©rĂ©monie de lancement des concertations, hier au Palais. Assis au premier rang, face au prĂ©sidium, calme et jovial, il attirait tous les regards.
Le choix de Famara Ibrahima Sagna nâest pas une surprise. Son nom Ă©tait sur toutes les lĂšvres. Mais la jeune gĂ©nĂ©ration mettrait difficilement un nom sur son visage joufflu. Tant lâhomme est casanier. Ses proches le dĂ©finissent, volontiers, comme ayant horreur des mondanitĂ©s. La derniĂšre fois que son nom est revenu au-devant de la scĂšne, câest Ă la veille de la derniĂšre prĂ©sidentielle. Le PrĂ©sident-candidat, Macky Sall, dĂ©barqua chez lui, Ă Fann RĂ©sidence, pour, disait-on Ă lâĂ©poque, une simple visite de courtoisie.
Des mois plus tard, le voilà propulsé driver du Dialogue national qui doit tourner, définitivement, la page des nombreux contentieux politiques qui ont fini de craqueler la légendaire réputation de vitrine de la démocratie en Afrique dont le Sénégal se vante.
MariĂ© Ă Abibatou Ndiaye, une Inspectrice de lâenseignement prĂ©scolaire Ă la retraite, le crĂąne toujours rasĂ© dâoĂč son surnom de “Tarass Boulba” (“un cosaque ukrainien robuste et belliqueux”), dâun physique impressionnant, qui a fondu avec lâĂąge (81 ans), Famara Ibrahima Sagna est titulaire de plusieurs dĂ©corations nationales et Ă©trangĂšres. Ses capacitĂ©s de nĂ©gociation avaient permis au SĂ©nĂ©gal de dĂ©bloquer, Ă une Ă©poque, lâaide des institutions internationales.
Ce fils de la Casamance, descendant de lâAlmamy Bourin Sagna de Marsassoum, a un pedigree qui force le respect : Pdg de la Sonaga, directeur gĂ©nĂ©ral de la Bnds, administrateur de la Zone franche industrielle, baron socialiste, plusieurs fois ministre, prĂ©sident du Conseil Ă©conomique et socialâŠ
DĂ©mission
NĂ© le 26 novembre 1938 Ă Ziguinchor, Famara Ibrahima Sagna a fait sa scolaritĂ© primaire dans sa ville natale, avant dâaller poursuivre ses Ă©tudes secondaires et supĂ©rieures Ă Dakar et Ă Paris, notamment Ă lâInstitut des hautes Ă©tudes dâoutre-mer (nom donnĂ© par la France Ă lâancienne Ăcole nationale de la France dâoutre-mer, Ă partir de 1958), section “Administration GĂ©nĂ©rale”, promotion “Charles de Gaulle” du 15 juin 1961. De retour au SĂ©nĂ©gal, il occupa, aussitĂŽt, en tant quâadministrateur civil, dâĂ©minentes responsabilitĂ©s sous Me Valdiodio Ndiaye, alors ministre de lâIntĂ©rieur.
Il dĂ©buta sa carriĂšre Ă la direction des Affaires politiques et administratives comme administrateur mis Ă la disposition du Directeur. Il y occupa plusieurs postes : chef de Bureau de la police des associations, des dĂ©bits de boissons, des jeux et des secours ; chef de service de lâAdministration gĂ©nĂ©rale (actuelle Direction de lâadministration territoriale) et Directeur adjoint. Premier SĂ©nĂ©galais Ă occuper le fauteuil de directeur de la Protection civile en juillet 1963, il effectua une formation accĂ©lĂ©rĂ©e Ă lâĂcole nationale de la protection civile Ă Nainville-les-Roches (France) et une mission dâinformation auprĂšs de son homologue français de lâĂ©poque.
Famara Ibrahima Sagna quittera le ministĂšre de lâIntĂ©rieur, que dirigea plus tard Abdoulaye Fofana, pour rejoindre celui de lâEnseignement technique, professionnel et de la Formation des cadres dirigĂ© par Ămile Badiane. Il devint directeur de cabinet. Plus tard, il sera mutĂ© au ministĂšre des Finances, que dirigeait un certain Jean Collin, comme adjoint au directeur du Mouvement gĂ©nĂ©ral des fonds. Ainsi rĂ©pondait-il Ă son ambition de se reconvertir Ă lâĂ©conomie et aux finances. En effet, le juriste de formation (droit public) au dĂ©part est devenu, aprĂšs une formation post-universitaire en France et aux Etats-Unis, analyste financier.
Devenu ministre de lâIntĂ©rieur en 1990, il dĂ©missionna du Parti Socialiste (PS) pour maintenir lâĂ©quilibre de la balance entre toutes les formations politiques. Il facilitera la rĂ©conciliation nationale post-“Ă©vĂ©nements de 88” grĂące Ă cette dĂ©mission portĂ©e Ă la connaissance des partis et de lâopinion.
Froid avec Habib ThiamÂ
NommĂ© le 7 avril 1991 ministre de lâĂconomie, des Finances et du Plan, il adressa une lettre au PrĂ©sident Abdou Diouf, le 30 novembre 1992, pour lui faire connaĂźtre sa dĂ©cision dâarrĂȘter sa participation au gouvernement si, en cas de victoire aux Ă©lections de 1993, Habib Thiam, avec qui il Ă©tait en froid, devait ĂȘtre maintenu au poste de Premier ministre.
Baron du Ps quâil a intĂ©grĂ© en janvier 1984, Ă la demande du secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de lâĂ©poque, Abdou Diouf, Ă la suite du CongrĂšs extraordinaire des 20, 21 et 24 janvier 1984, il devint, automatiquement, le secrĂ©taire national du Bureau politique du parti chargĂ© des Affaires Ă©conomiques et prĂ©sident de la commission des Affaires Ă©conomiques et financiĂšres du ComitĂ© central. Le dialogue fructueux entre le pouvoir et lâopposition ainsi que la mĂ©diation rĂ©ussie entre Abdoulaye Wade et Abdou Diouf, qui ont abouti Ă la formation dâun gouvernement de majoritĂ© prĂ©sidentielle Ă©largie le 7 avril 1991, portent son empreinte.
AprĂšs les Ă©lections (prĂ©sidentielle et lĂ©gislatives) de 1993, Abdou Diouf dĂ©cida de maintenir son ami de longue date Habib Thiam comme Premier ministre. Famara Ibrahima Sagna, fidĂšle Ă ses exigences, nâhĂ©sita pas une seconde Ă quitter le gouvernement pour⊠“convenance personnelle”. Mais des nĂ©gociations amicales avec Abdou Diouf aboutirent Ă une proposition de nomination comme prĂ©sident du Conseil Ă©conomique et social. Famara Ibrahima Sagna accepta le poste. NommĂ© le 2 juin 1993, il devint la quatriĂšme personnalitĂ© de lâĂtat.
Vingt-six ans plus tard, ce pĂšre de cinq enfants nâoccupe plus le mĂȘme rang, mais son influence reste intacte Ă dĂ©faut dâavoir dĂ©cuplĂ©.