La France et ses partenaires occidentaux vont retirer leur présence militaire au Mali. « En raison des multiples obstructions des autorités de transition maliennes, le Canada et les États Européens opérant aux côtés de l’opération Barkhane et au sein de la Task Force Takuba estiment que les conditions politiques, opérationnelles et juridiques ne sont plus réunies pour poursuivre efficacement leur engagement militaire actuel dans la lutte contre le terrorisme au Mali et ont donc décidé d’entamer le retrait coordonné du territoire malien de leurs moyens militaires respectifs dédiés à ces opérations », explique la Déclaration conjointe sur la lutte contre la menace terroriste et le soutien à la paix et à la sécurité au sahel et en Afrique de l’Ouest.
« Nous prenons acte »
Ce retrait se traduira selon Emmanuel Macron qui faisait face à la presse ce jeudi 17 février aux côtés de ses homologues sénégalais et ghanéen et du président du Conseil européen, « par la fermeture des emprises de Gossi, de Ménaka et de Gao ».
C’est une évolution qui ne surprend pas au regard de la tension qui prévaut depuis des mois entre la France et le Mali.
Le président sénégalais, par ailleurs président en exercice de l’Union africaine dit comprendre les décisions prises par les autorités européennes de ne pas poursuivre leur intervention sur le théâtre malien. « Nous en avons pris acte », a déclaré Macky Sall qui participait à une conférence de presse conjointe avec Emmanuel Macron, Nana Akufo Addo et Charles Michel.
Pour leur part, les autorités maliennes n’ont pas encore réagi. Une rencontre est en cours entre les autorités de la transition et les représentants des pays participant à la force Takuba. Mais des voix locales s’élèvent déjà pour…jubiler. Membre de l’Union pour la République et la Démocratie (URD) qui soutient la transition, Moustapha Siby trouve que « c’est un dénouement que souhaitait une grande majorité des maliens ».
Le départ de Barkhane du Mali signe la fin d’une présence militaire de neuf ans dans un pays confronté à une insurrection menée par des groupes djihadistes liés à Al Qaïda et à l’État Islamique et jusque-là invaincus.
Barkhane, un échec ?
Pour autant, Emmanuel Macron ne veut pas entendre parler d’échec. « Je récuse ce terme. Que se serait-il passé en 2013 si la France n’avait pas fait le choix d’intervenir ? Vous auriez eu à coup sûr un effondrement de l’État malien. Au mieux, une partition avec un califat territorial. Au pire, la prise de contrôle de l’intégralité du Mali par ces groupes terroristes », plaide le président français qui cite les « succès obtenus » par les militaires français et matérialisés par la neutralisation de plusieurs chefs djihadistes dont Abdelmalek Droukdel, Yahya Abou El Hamam, Mohamed Ould Nouini…
Pour Wassim Nasr, journaliste à France 24 et spécialiste des groupes djihadistes, le retrait de la France et des européens est « un échec collectif des politiques français et maliens et non de Barkhane en tant qu’opération militaire.
Des djihadistes en roue libre
Dans tous les cas, cette décision ne sera pas sans conséquence sur le terrain. « Le départ aura un impact militaire sur le terrain », prédit Wassim Nasr qui relativise en fonction de la poursuite ou non de l’utilisation de l’espace aérien malien par les forces françaises. « Si l’espace aérien malien est interdit aux français, cela voudra dire que les djihadistes auront une grande liberté de mouvement et d’actions », prévient l’auteur de l’ouvrage « Etat islamique : le fait accompli ».
Au mois de décembre, le Mali a reçu du matériel militaire aérien de la Russie dans la foulée du renforcement de ses relations bilatérales avec ce pays et compterait sur des mercenaires de la compagnie privée Wagner pour combattre les groupes djihadistes. « Ils ne font pas le poids », doute une source sécuritaire au fait de l’agitation djihadiste au Mali.
Une occasion en or à saisir
En revanche, les autorités maliennes peuvent tirer profit de cette situation nouvelle. C’est ce que Wassim Nasr appelle un « effet inattendu ». Étant entendu que le départ des français et de la Minusma (qui n’est pas encore partie) était une demande du JNIM (Jama’at nusrat al islam wal muslimin) ou Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM), un alignement d’intérêts entre Bamako, les djihadistes et les russes se dessine. « Ces trois parties ont intérêt à ce que les négociations aient lieu surtout que la junte tient à travers cette approche sa dernière carte politiquement parlant », fait savoir le journaliste selon qui, « s’ils initient des négociations avec les djihadistes, et en amont une trêve comme l’avait proposé l’Imam Dicko, ça va contenter la population dans ce contexte de difficultés économiques engendré par les sanctions de la CEDEAO ». Et si la machine était déjà en marche ?
Selon nos informations, la dernière conférence africaine pour la paix qui s’est tenue à Nouakchott a servi d’occasion pour le gouvernement malien et le JNIM d’établir le contact en vue de négociations poussées dans un avenir proche. Wassim Nasr confie à Dakaractu que la présence de personnalités maliennes, sahéliennes et africaines à cette rencontre « laisse entendre que quelque chose a été initié ». Mais il ne veut pas s’avancer et préfère laisser les choses poursuivre leur cours. Moustapha Siby est catégorique : « le caractère asymétrique de cette guerre nous impose de négocier avec certains éléments égarés… »
Pour la France et ses alliés, il est hors de question de dialoguer avec des terroristes. En lieu et place de cette option, les occidentaux qui quittent le Mali se déploient dans les pays frontaliers, voire du sud. « À la demande de leurs partenaires africains, et sur la base de discussions sur les futures modalités de leur action conjointe, ils sont néanmoins convenus de poursuivre leur action conjointe contre le terrorisme dans la région du Sahel, notamment au Niger et dans le Golfe de Guinée, et ont engagé des consultations politiques et militaires avec eux dans l’objectif d’arrêter les paramètres de cette action commune d’ici juin 2022 », indique le communiqué conjoint sur la lutte contre la menace terroriste et le soutien à la paix et à la sécurité et en Afrique de l’Ouest.