Dans son livre intitulé “Le Sénégal au cœur”, le président Macky Sall raconte des épisodes de sa vie politique qu’il n’avait jamais évoqués auparavant. La crise entre lui et Wade, ses rapports avec Idrissa Seck dans le gouvernement, la naissance de son premier enfant, il dit tout dans cet ouvrage dont nous vous proposons quelques extraits publiés par le Journal “L’Observateur”.
“Je ne peux passer sous silence, mes lecteurs et mes amis ne le comprendraient pas, un point relatif à des propos nauséabonds qui en surprirent plus d’un. Des propos que l’on n’attendait pas de celui qui les a tenus, quand on sait qu’il a eu la chance, l’honneur et le privilège d’avoir occupé les plus hautes fonctions dans un pays de mesure, qui a toujours donné une belle image de lui au reste du monde. La politique politicienne est ce qu’elle est et se prête à tous les coups bas, hélas. Lorsqu’en 2015, la justice a traduit Karim Wade devant un tribunal, son père – mon prédécesseur – a perdu toute mesure. Celui qui fut mon mentor, mon guide, cet Abdoulaye Wade qui a tant marqué mon pays, a déclaré :
“Macky Sall est un descendant d’esclaves. (…) Ses parents étaient anthropophages (…) Ils mangeaient des bébés et on les a chassés du village (…) Jamais mon fils Karim n’acceptera que Macky Sall soit au-dessus de lui. Dans d’autres situations, je l’aurais vendu en tant qu’esclave !”
Cette déclaration abjecte et révoltante est difficilement saisissable par quelqu’un qui n’est pas sénégalais ou africain. Or, j’écris aussi ce livre pour un public qui va bien au-delà de mon pays. J’ouvre donc une parenthèse : au Sénégal, notre société oscille entre la modernité et le poids de l’ancien temps. Autrefois, le groupe des esclaves était la caste la plus basse sur l’échelle sociale, dans la société traditionnelle. Etre descendant d’esclaves est encore considéré comme une tare. L’insulte était donc grave, particulièrement dans le Fouta, la région d’origine de mes parents, où les Maccubés (esclaves) restèrent longtemps objets de mépris.
Idrissa Seck
“Idrissa Seck est un homme à tendance autoritaire. Il y a des Premiers ministres plus “ronds”, plus consensuels. Idrissa Seck est tranchant, il ne demande pas, il ordonne. Le premier dossier touchant mon domaine, dont il se saisit, concerne les carrières de Thiès. En 2003, alors que je suis en déplacement à Fatick, ville dont je suis le maire depuis 2002, le Premier ministre provoque une réunion autour de l’avenir des carrières de Thiès. (…) Ce vendredi-là, une réunion est donc organisée sur ce sujet. Mon directeur de cabinet me représente. La rencontre est terminée, il me téléphone immédiatement. “Le Premier ministre nous donne jusqu’à ce soir 18 h, pour présenter un projet de décret ordonnant la fermeture des carrières de Thiès !”. Je suis abasourdi. Thiès est le fief d’Idrissa Seck, mais on ne prend pas une telle décision en un tour de main. Je demande ordre écrit, je veux avoir un document officiel. Vers 18 h, mon collaborateur reçoit le papier et m’en informe. Dès lors, mes instructions à mon directeur de cabinet sont claires : “Rangez le document et stoppez la procédure jusqu’à lundi.” Je compte mettre à profit cette fin de semaine pour passer à Thiès et voir le Premier ministre qui s’y trouve. Son accueil est très cordial. Nous déjeunons ensemble, mais nos points de vue sur la question sont diamétralement opposés ! Je rentre à Dakar et je vais passer le reste de ce week-end à bâtir un solide dossier technique sur cette affaire. Je suis fermement opposé à la fermeture des carrières et j’entends bien me battre.
Les “tueurs” autour du président
“Les hommes d’État sont entourés de collaborateurs plus ou moins brillants. Parmi eux, certains endossent le costume de “tueurs”. Devançant les supposés désirs de leur patron, interprétant à leur guise les fameux “silences” du grand manitou, ils décrochent le téléphone, donnent des ordres, exécutent : “Il faut virer untel, le président ne l’apprécie pas.” Il suffit très souvent de dire “non” pour se rendre compte que ces exécutants n’ont que le pouvoir qu’on leur prête. Combien de fois m’a-t-on abordé en me demandant pourquoi j’avais pris telle ou telle décision ou comment se faisait-il que j’avais écarté telle personne ? Je n’étais même pas au courant ! C’est la politique des couloirs et des chuchotements, celle des petits meurtres entre amis, la petite soupe qui ne sent pas très bon.