Notée une fois sur 200 000 naissances vivantes, la venue au monde de bébés siamois est un phénomène encore inexpliqué. Les séparer est une opération délicate, sinon impossible. Surtout dans des pays comme le Sénégal. Une équipe médicale de l’hôpital pour enfants Albert Royer de Fann a réalisé la prouesse le 19 décembre dernier, mais le mystère siamois demeure. Seneweb a tenté de le percer.
Après un séjour de 48 jours seulement sur terre, les bébés Adja et Sophie étaient déjà plus célèbres que des Sénégalais ayant vécu des décennies. Cette notoriété tient au fait qu’à la naissance, elles étaient des jumelles siamoises. Une équipe médicale dirigée par Pr Gabriel Ngom à l’hôpital pour enfants Alber Royer de Fann a réussi à les séparer avec succès le mercredi 19 décembre 2018.
La petite Adja est décédée dans la nuit du samedi 22 au dimanche 23 décembre, soit 3 jours après l’opération. Quant à Sophie, elle se porte bien et devrait bientôt quitter l’hôpital. C’est du moins ce qu’avait indiqué une source hospitalière au moment où nous écrivions ces lignes, le 11 janvier dernier.
Pourtant, quelques heures après l’opération, Pr Ngom était optimiste, malgré une anomalie cardiaque détectée chez la défunte. “Ce sont des jumelles qui sont parfaitement viables. (…) Elles ont tous les organes, elles peuvent vivre 100 ans”, disait-il.
Cette disparition d’Adja est la preuve de la délicatesse de l’intervention, la deuxième du genre après une première expérience, il y a 15 ans, sous la conduite de Pr Mamadou Ngom. Cette intervention qui remonte en 2003 a connu plus de succès, puisque Adama et Awa Ndoye (Yoff) ont vécu toutes les deux et sont aujourd’hui au collège.
Être des siamois à la naissance c’est déjà avoir une chance très réduite de survivre. Ce phénomène mystère survient une fois sur 200 000 naissances vivantes, selon le centre médical de l’Université du Maryland aux Etats-Unis. Le taux de survie se situe entre 5 et 25% à la naissance. Pr Gabriel Ngom acquiesce : “Au Sénégal, on ne rencontre pas beaucoup de cas de siamois. Depuis que je pratique la chirurgie, j’ai vu environ une dizaine de cas de siamois. Dans cette dizaine de cas, les huit sont décédés bien avant l’opération parce qu’ils ont eu à présenter d’autres malformations qui étaient incompatibles avec la vie.”
26 heures d’opération
Après l’intervention, par contre, la chance de vivre hausse jusqu’à plus de 50%. Mais faudrait-il d’abord réussir la prouesse. Puisque le travail peut se révéler plus compliqué que prévu. “Les radios faites avant l’opération indiquaient qu’elles (Adja et Sophie) avaient uniquement le foie en commun, rembobine Pr Ngom. Mais au cours de l’opération, on s’est rendu compte qu’elles partageaient d’autres organes, à savoir le cœur et l’os thoracique. Ce qui a compliqué l’opération.”
Celle-ci a mobilisé une équipe pluridisciplinaire : anesthésistes, radiologues, chirurgiens, pédiatres,… Plusieurs réunions ont été tenues, pour déterminer le protocole à suivre.
Même dans les pays développés, de telles interventions sont toujours délicates. Le 17 février 2015, une douzaine de spécialistes se sont relayés durant 26 heures à l’hôpital pour enfants du Texas pour séparer Knatalye Hope et Adeline Faith Mata. Les médecins ont passé 18 heures à désunir les corps et 8 heures à prendre en charge chacune d’elles. Les deux filles étaient unies par le sac péricardique (le cœur plus des artères et veines), le foie et les intestins. L’intervention a eu lieu mardi, mais il a fallu attendre dimanche pour que les médecins osent parler de succès.
En septembre 2014, ce sont 30 spécialistes qui ont passé 16 heures à l’hôpital pour enfants Nationwide de l’Ohio pour séparer Acen et Apio Akello, nées en Uganda.
Pas toujours séparables
Phénomène exceptionnel, les siamois concernent les filles à hauteur de 70 à 90%. L’origine reste pour le moment difficile à déterminer. “Il n’existe pas d’explication précise, il n’y a pas de facteur à incriminer”, souligne le gynécologue Cheick Atab Badji. “On ne sait pas ce qui crée les siamois”, confirme Pr Ngom.
Selon ces médecins, la théorie la plus répandue est qu’il s’agit d’une malformation résultant d’une anomalie qui se produit lors de la séparation des jumeaux. Lorsque la fécondation est gémellaire, les deux fœtus doivent se séparer entièrement. Mais, du fait d’un dysfonctionnement, notamment entre la deuxième et la troisième semaine de la grossesse, la division se fait de manière incomplète et les futurs bébés grandissent collés l’un à l’autre. Il existe également une thèse, minoritaire, qui voudrait que ce soit deux œufs séparés au départ et qui se collent par la suite.
Cette fusion peut se faire à plusieurs niveaux. Certains siamois ont les deux têtes collées. Pour d’autres, c’est le thorax, l’abdomen, la hanche ou le dos. De ce point de jonction dépend l’avenir des siamois. Lorsque c’est le thorax, le vendre ou la hanche par exemple, il est possible de les séparer. Par contre, si les bébés partagent des organes vitaux, il est difficile, voire impossible, de les séparer.
“Tout dépend du bilan légionnaire à faire. S’ils sont liés par la moelle épinière, le cerveau ou le cœur, il est quasi-impossible de les séparer”, éclaire Dr Cheick Atab Badji. Tout est donc une question d’arbitrage en fonction des arguments pour ou contre.
“Si l’intervention est lourde, il faut analyser et procéder au cas par cas. C’est à l’échelle individuelle”, précise Dr Badji. Dans certains cas, il faut renoncer à toutes opérations. Les nouveaux nés sont donc condamnés à vivre ensemble, à leurs risques et périls. Dans d’autres, il faut sacrifier l’un au profit de l’autre.
Tous les siamois ne présentent pas les mêmes caractéristiques. Il existe des exemples où l’un des enfants n’est pas un être humain à part entière. Il n’a pas les organes vitaux pour vivre. C’est juste une partie du corps humain qui dépend de l’autre. On parle de parasite. Mais dans tous les cas, soutient cet interlocuteur, la décision doit être motivée.
Contraintes législatives
La naissance de jumelles siamoises tend à creuser le fossé entre pays riches et pays pauvres. Ou du moins, à devenir une question de culture et de législation. En Occident, si une malformation importante est notée lors des échographies prénatales, les parents peuvent demander l’interruption de la grossesse. Lorsque les bébés sont jugés viables, l’évolution de la grossesse est suivie de prêt et l’accouchement se fait par césarienne.
Dans les pays en voix de développement, la réalité est autre. Les examens, assez limités, ne permettent pas souvent de savoir qu’il s’agit de jumelles siamoises. C’était le cas pour Adja et Sophie. Leur mère qui portait pour la première fois une grossesse ne savait pas qu’elles étaient siamoises. “Cette maman a eu à faire quatre échographies au cours de la grossesse, confie Dr Atab. Ces échographies mettaient juste en évidence la présence d’un seul enfant. Les deux dernières ont vu deux enfants mais n’ont pas permis de savoir qu’ils étaient fusionnés.”